De la croissance du Japon jusqu’à la situation actuelle

La baisse rapide des exportations de thé entraine une nouvelle fois la nécessité d’ouvrir de nouveaux marchés. Or, à partir de la fin des années 50, le Japon entre dans une période de très haute croissance. C’est donc maintenant une large proportion de la population japonaise qui peut consommer, pour l’essentiel, du sencha.
Jusqu’alors, le sencha, tamaryoku-cha, ou encore évidement le gyokuro, étaient des thés très couteux que ne pouvaient se payer la majorité de la population japonaise. Mais vers la fin des années 50, et plus encore dès les années 60, la croissance aidant le pouvoir d’achat des Japonais augmente considérablement. Aussi, on assiste à une vaste exode rurale, qui à pour conséquence que l’on consomme en ville du thé que l’on achète, et pas le thé que l’on fabriquait soi-même pour sa consommation personnelle.
Bien sûr cela est très bénéfique à l’industrie du thé, qui continue à se perfectionner, la qualité des produits continue à augmenter. Mais, le revers de la médaille se trouve dans la disparition progressive des bancha variées traditionnels des campagnes. Aujourd’hui, il n’est reste que trop peu d’exemples, beaucoup restent produit pas des personnes maintenant très âgées, qui n’arrivent pas à trouver de successeurs.

Dans les années, l’offre n’arrive plus à combler la demande, si bien qu’on en vient à importer du thé vert, produit à la manière du sencha à Taiwan.
L’année 1975 connait le pic de production avec 105 500 tonnes !

Mais le rêve touche vite à sa fin. L’occidentalisation des habitudes alimentaires, la diffusion du café, des sodas, etc, entraine une baisse de la consommation de thé vert.
En 1980 apparaît pour la première fois du thé oolong en canette, puis en 1985 du thé vert japonais en bouteille. Ces produits en bouteille connaissent un succès important, leur consommation en cesse d’augmenter, mais le thé en feuille, que l’on fait infuser dans une théière tend à se perdre. Aujourd’hui, de nombreux foyers ne possèdent même pas de théière, et il est effrayant de voir qu’il y a des enfants qui ne savent pas ce qu’est une théière, qui n’en n’ont jamais vu !

Cet éloignement des japonais du thé japonais de qualité (du sencha essentiellement) préparé dans une théière est donc mis sur le dos des changements d'habitude alimentaires et de l'apparition de produits pratique. Mais si l'on regarde de plus près le comportement de l'industrie du thé japonaise dans son ensemble dans les années 60-70 et même 80 face au boom du sencha, le phénomène n'est pas si simple, et la concurrence de nouveaux produits semble alors être une bien facile excuse.
Revenons un peu en arrière, avant la période de croissance du Japon. Le sencha, le mushisei-tamaryokucha étaient des produits couteux destinés à l'exportation, et la majorité de la population japonaise ne buvaient que des thés produits dans les campagnes pour une consommation personnelle, des thés au malaxage très léger, voir pas malaxés du tout et seulement séchés au soleil. On avait donc des thés qui infusaient très peu, et étaient ainsi laissés toute la journée dans la bouilloire, on s'en servait quant on avait envie d'en boire, et on rajouté de l'eau bouillante lorsqu'il n'y avait plus d'eau dans la bouilloire. A partir des années 60, le thé devient un produit qu'on achète, tout le monde peu consommer du sencha :
- C'est un thé qu'il faut faire infuser dans une petite théière (!)
- Il faut utiliser un eau pas trop chaude (!!)
- Il faut faire infuser pendant une très courte durée (!!!)
- Il faut vider tout le liquide à chaque fois (!!!!)
Personne n'avait la moindre idée de cela ! Et comme à cette époque tout ce qui était sur un étalage se vendait, l'industrie du thé se l'est bien coulé douce, oubliant qu'il y avait toute une éducation à faire. Ainsi, les japonais utilisaient le sencha comme leur vieux bancha d'antan, résultat, un thé horriblement astringent, amère... De cette manière, tout le charme du sencha est bien difficile à faire comprendre, et lorsque de nouveau produits arrivent sur le marché, on se tourne vers ceux-ci.
Il faut ajouter à cela qu'à l'époque, les conditions de conservations étaient encore bien mauvaises, il faut attendre les années 90 pour voir apparaitre d'efficaces emballages.
On comprend alors mieux les raisons qui ont mise le thé japonais dans une situation aujourd'hui plutôt délicate.

En 1999 fut créé la « Japanese Tea Instructor Association » 日本茶インストラクター協会 (Nihon-cha Instructor Association), dont le but est la formation de personnes ayant de bonnes connaissances du thé dans son ensemble, pour pouvoir participer à sa promotion, et à sa meilleure compréhension par les japonais eux-mêmes. Chaque type de thé doit être préparé d’une façon particulière, pourtant une immense majorité de la population n’en connait rien, ainsi, dans ces conditions, il est impossible de déguster un thé correctement, de profiter de toute la richesse des ces arômes et parfums.

Le lecteur avisé aura compris que le thé japonais qui est sur le marché, du sencha à presque 70%, est finalement un produit relativement récent, qui n’est accessible à tous que depuis les années 60. Cet « éducation » est donc nécessaire.

Aujourd'hui, la surface cultivée reste relativement stable après une baisse du milieu des années 70 jusqu'au début des années 90, mais le nombre de producteurs continue à baisser, ce qui signifie bien sur que ce sont les petits producteurs, de qualité, qui souffrent, alors que les très grande exploitations destinés à des thés bons marché, aux produits en bouteille, gagnent du terrain. Je le répète, l'avenir du thé japonais est préoccupant, tout du moins l'avenir d'un thé japonais de grande qualité l'est.

Après cette note plutôt pessimiste, et pour finir, l’histoire du thé au Japon est, me semble-t-il , passionnante, ses évolutions et révolutions suivent celles de la société japonaise elle-même. Le thé est un élément très important de la culture japonaise, il est aujourd'hui plus que jamais nécessaire de le soutenir, pour que son histoire se poursuive encore de longs siècles. En tant que Japanese Tea Instructor, j'espère pouvoir y apporter ma contribution, aussi infime soit-elle.

Commentaires

Articles les plus consultés